Être vieille, c'est grave docteur?
Ca y est, j'ai réussi à le dire ce « gros mot » tant méprisé pour les uns et utilisé par d'autres à des fins mercantiles sous le vocable de « personne âgée ».
Il est vrai qu'en ce début du vingt-et-unième siècle où l'apparence et le corps sont mis scandaleusement en pâture dans les revues de mode, dans les clips de publicités télévisées, sur les réseaux sociaux, etc. pour les femmes, pas un bourrelet ne doit dépasser du pantalon ou du chemisier et, s'il vous plait mesdames, ventre plat ! Quant au visage, aucune ride ne doit trahir votre âge, il doit être parfaitement lisse, les lèvres pulpeuses et les dents blanches ! Quelle horreur mesdames si, par mégarde, un poil incongru -résultat de nos hormones- se dresse sur notre menton ! Eh oui, en deux-mille-vingt-et-un, un poil féminin et les rides sont l'ennemi numéro un !
Pour les hommes, au niveau pileux c'est l'inverse ! Le torse bombé par les pectoraux, la barbe bien taillée, la peau bronzée tels des Apollons, ils arborent les vêtements dernier cri vus dans les mêmes spots ou magazines.
Pas de place pour les vieux !
Cependant, n'en déplaise à quelques illustres personnages : Corneille dans « Le Cid » déclamant : « Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie !...», de Gaulle, disant à son fidèle ami et ministre André Malraux : « La vieillesse est un naufrage !...». Nous les gens de soixante, soixante-dix, quatre-vingt, quatre-vingt-dix ans et plus, sommes encore capables d'enfourcher les plaisirs de la vie qui nous sont propres.
Bien sûr, je ne suis qu'à l'aube de ma vieillesse, chaque jour cependant me rappelle à l'ordre : tel matin c'est mon dos qui est douloureux, résidu d'une sciatique, c'est mon cœur qui joue la chamade et mon souffle qui est plus court. J'entends moins bien et confond les sons, je fais souvent répéter. Parfois j'oublie ce que j'ai lu la veille. Mes après-midi de jardinage se réduisent progressivement à une ou deux heures maxi ! Et j'en passe...
Le pire c'est dans nos boites aux lettres. Il ne se passe pas un mois sans que des officines mercantiles ne nous proposent, -personnes âgées par ci, personnes âgées par là-, des contrats pour nos obsèques ! On nous flatte, en personnes prévoyantes nous devrions dès maintenant choisir notre cercueil, le plus beau, le plus cher souvent (attention l'arnaque!).
Çà, ça casse bien un peu le moral !
Bien sûr ma jeunesse est partie il y a longtemps et la nostalgie me guette.
J'essaie de faire fi de tout cela, j'estime qu'à partir d'un certain âge il faut affronter la vie avec philosophie :
- Oublier les mauvais moments ou, du moins, ne pas ouvrir souvent la boite aux mauvais souvenirs où ils sont gardés secrètement.
- Ne se remémorer que du bon temps passé, rire le plus souvent possible, avec les jeunes, avec les vieux, rire de tout, rire de rien !
- Se faire plaisir avec des petits riens et surtout ne pas mettre la barre trop haute, car l'échec est déprimant.
- Chaque jour avoir un but nouveau (balade avec une copine ou un copain, soupe au pistou, dessiner une chèvre ou une fleur, que sais-je !...)
Un jour, une amie qui avait quatre-vingts ans à l'époque m'a dit en riant aux éclats : « Tu veux que je te donne de mes nouvelles?... « Je commence donc par te dire ce qui va bien, c'est beaucoup plus rapide que ce qui va mal ! ». Quelle philosophe, pas de jérémiades chez elle. Elle a maintenant quatre-vingt-quinze ans...
Tout est question de dosage. Racine dans « Les Plaideurs » n'a t-il pas dit « Qui veut voyager loin ménage sa monture ». Vieillesse ne rime t-elle pas avec sagesse ?
Nous, les Vieux, avec un grand « V » n'avons-nous pas devant nous de belles années à partager en famille ou avec des amis ? Quelle chance si nous avons ou si nous côtoyons des petits enfants, trésors sans fin d'échanges, d'impertinence et d'amour ! Avec les miens, j'ai passé des moments inoubliables. Que de fous rires pendant leur apprentissage du vélo, les roulades dans les prés, les cachettes dans des tas de feuilles mortes à l'automne, les cabanes fabriquées avec des petites branches de châtaigniers. Tels des Robinsons, nous partions dans le bois, munis d'une hache et de couteaux. Ayant rabattu le siège arrière, nous remplissions ma voiture de feuillage dans lequel mes petits s'enfouissaient. Pendant le transport je mettais la pression, leur faisant croire que nous pourrions rencontrer les gendarmes sur la route et là, bouches cousues, seuls quelques gloussements de rires étouffés m'arrivaient tandis que quatre paires d'yeux s'animaient malicieusement dans le rétroviseur !
En contre partie, mes petits m'ont fait découvrir l'accrobranche à soixante-cinq ans. J’ai fait tout le parcours sauf le « Saut de Tarzan », trop peur, trop haut! Ils m'ont appris à me servir d'un ordinateur à soixante-dix ans et d'un smartphone à soixante- quinze ans. Avec tous ces bons moments, je ne peux pas, je ne dois pas mal vieillir !
Enfin, pour bien vieillir je vous donne une adresse sans faire de prosélytisme, donnez la à vos amis, c'est l'Université Populaire du Vivarais. Merveilleuse association culturelle où on y entretient sa vieillesse avec intelligence. On y côtoie des gamins de soixante ans, des aînés qui nous éblouissent par leurs connaissances, des gens de toutes origines professionnelles, sociales et culturelles. Pas de problème avec notre physique ! Il y a des blondes, des brunes, des dames aux cheveux blancs ou rouges, des grassouillets, des maigres, des grands, des petits, etc.! On n'y cache pas nos rides ou notre petite bedaine, témoins de notre âge et de notre comportement de bons vivants, on y est naturels et sincères. Dans cette association j'adore le fait qu'on puisse s'y exprimer par la parole, l’écriture ou le dessin sans être jugé ou critiqué, encore que la critique intelligente soit très enrichissante.
Pour ma part je m'y émancipe.
Et puis nous sommes dans l'âge où il faut transmettre notre héritage culturel. Les jeunes nous voient peut-être comme des dinosaures, nous qui avons connu la lampe à pétrole et surtout, comble de leur questionnement, nous avons vécu sans téléphone portable pendant des décennies ! Il faut donc raconter notre passé sans moraliser, écouter les jeunes sans les juger, ils ont beaucoup à nous dire. Ils abordent la vie bien autrement de nous mais c'est comme ça. N'avons-nous pas, nous aussi, vécu, travaillé différemment de nos parents ? L'humanité n'est pas figée, c'est ce qui nous différencie de l'animal.
J'allais oublier : l'UPV c'est bien dans son ensemble, il manque simplement des contacts avec les enfants et les ados. A la fin de cette horrible farce qu'est la Covid-19, ne pourrions-nous pas organiser des rencontres avec les scolaires ? A réfléchir !
Un jour mon crépuscule arrivera.
Quand j'en serai « de la fenêtre au fauteuil, du fauteuil au lit et puis du lit au lit » et si j'ai toute ma lucidité, ce sont mes souvenirs d'enfance et d'adulte qui me tiendront éveillée et, comme disait Jacques Brel dans sa chanson sur les Vieux :
« Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour... » Au final je n'aurai aucune maîtrise de la situation, donc arrivera ce qui arrivera!...
Excusez moi, je me suis piégée moi même, je n'avais pas prévu de terminer mon histoire avec une larme !
Cependant j'espère sincèrement que je vous ai fait rire, mais peut-être pas ? Dans tous les cas, merci de me le dire.
Paulette ROSTAIND.