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Publié par Université Populaire du Vivarais

Une vieille voisine sans âge, seule avec ses chèvres et son chat, vivait non loin de chez nous. Sa maison, éclairée par une petite fenêtre et une porte étroite souvent grande ouverte, entourée d'épais murs assombris par la fumée, était un ancien moulin dont la lourde meule de pierre circulaire, devant la façade, témoignait de ce temps révolu.

Une ampoule faiblement lumineuse permettait de la deviner dans la pénombre, à côté du  fourneau d'où émanait une douceur insuffisante pour chasser l'humidité provenant du ruisseau à proximité.

L'hiver, période des veillées, bravant le froid, le vent et quelquefois la neige, drapée dans un châle noir, seuls ses cheveux blancs tranchaient avec sa sombre silhouette, nous apercevions au loin sa lanterne vacillante sur le sentier herbeux conduisant à notre maison.

Elle arrivait tôt, parfumée à l'odeur de pétrole, les doigts couleur charbon par la fumée de la combustion. Nous étions encore à table, maman lui donnait une tartine de pain avec du fromage ou de la confiture, parfois aussi nous lui servions une assiette garnie. En tendant les mains elle répondait en patois "migea vous austres !*et, dans un sourire, elle laissait entrevoir une seule longue dent. Elle ne refusait jamais cette collation, ne cuisinant  pas elle avait souvent l'estomac vide.

Meurtrie par la mort de son fils pendant la Résistance et celle de son mari durant la Guerre de 14, Hortense avait un peu « perdu la tête ».

Ses journées s'écoulaient en faisant des va-et-vient sur la route avec son bâton, parlant toute seule, invectivant on ne sait qui. Etait-elle à la recherche de son fils jamais revenu  et dont elle ne parlait jamais ?... A l'époque, pas de soins psychologiques pour apaiser ses tourments...

Nous la voyions chaque jour. Par beau temps, elle venait nous rejoindre dans les champs, cherchant sans doute une compagnie. Dès que nous ne l'apercevions pas nous lui rendions visite pour vérifier si elle n'était pas malade. Elle faisait partie de la famille... C'était un peu notre grand mère.

Un jour de foire elle avait été accrochée par un camion et fait un séjour à l'hôpital. Son fils de Lyon avait été prévenu, par courrier sans doute ou par l'intermédiaire d'amis de la région,  mais le voyage en train jusqu'à Tournon, puis avec  la « Micheline » jusqu'à Lamastre et encore 3 kilomètres à pied jusqu'à sa maison, prenait du temps.... Nous nous occupions donc de ses chèvres.

Elle a fini sa vie dans un grand dortoir  faisant fonction de maison de retraite, situé dans le sous-sol de l'hôpital de Lamastre. Une dizaine de vieilles dames, assises ou couchées sur leur lit, laissait égrener le temps. Un passage étroit entre les lits qui se juxtaposaient, enveloppait ce dortoir d'une grande tristesse, laissant présager la mort...

Avec maman nous lui rendions de temps en temps visite, elle avait certes un meilleur confort que dans sa maison glaciale et était mieux nourrie aussi, elle paraissait même rajeunie, mais comment vivre dans une telle promiscuité ?

Fatiguée, son fils l'avait installée dans ce lieu insolite lui assurant une sécurité.

A chaque visite une larme coulait de ses yeux devenus creux et suivait le sentier de ses rides. Puis la mort  arrêta ses tourments et j'en fus soulagée.

Mais quel âge avait-elle ? Sa tombe est introuvable...

Ginette CHEYNEL

*« mangez vous autres »

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