Pas de nouvelles, bonnes nouvelles !...
Nous sommes partis tôt le matin afin de gravir la montagne plus aisément avant le pique-nique de midi. Les différents mets tirés du sac et partagés entre les six randonneurs n'en finissent pas de remplir nos estomacs.
Et pour digérer ce repas pantagruélique nous nous allongeons sur l'herbe printanière, regardant les oiseaux s'activer en piaillant pour construire leur nid. Une brindille par-ci, une tige par-là transportées avec rapidité et dextérité au bout de leur fin bec
Nous nous racontons nos souvenirs d'anciennes randonnées en été où Une Telle n'osait pas franchir la rivière, obligeant un détour considérable, augmentant la durée du parcours ; un autre, tellement fatigué, voulait dormir sur place et n'arrêtait pas de chuter sur les gros blocs de pierre, s'était même cassé deux dents en tombant de face et avait perdu sa sacoche contenant son argent et ses papiers.
Quelle épopée !...
Puis l'inoubliable rando en raquettes dans les Pyrénées...Perdus dans la tempête, envisageant de faire un igloo avec nos sacs à dos, nous avions fait demi-tour pour retrouver notre chemin. Douze heures passées avec un vent glacial (-8°) sans manger ni boire, tout était gelé dans les sacs. Avec 70 cm de neige fraîchement tombée, nous avions miraculeusement retrouvé notre refuge de départ !
Et rappelez-vous le regard lumineux du gardien en nous voyant revenir : « Vous êtes tous là ?» avait-il dit . Nous sachant dans la tempête, son inquiétude l'avait conduit à communiquer par radio avec d'autres refuges, mais personne...
Il nous avait rapidement servi des boissons chaudes et des couvertures pour nous revigorer. Ouf, nous ne dormions pas à la belle étoile !
La tempête faisant rage, nous étions interdits de descendre dans la vallée durant trois jours, occupant les longues journées à jouer aux cartes, lire ou bavarder. Ce cocon bienfaiteur nous réconciliait avec la brutalité de la montagne. Vous vous rappelez aussi : nos doigts maltraités par le froid avaient pelé !
Chacun ajoutant son souvenir, cinq ans après nous revivions vraiment l’événement. On nous avait baptisés « les rescapés des Encantats »(ce sont des montagnes en Espagne).
Le temps s'est arrêté avec nos retrouvailles et nos souvenirs, les nuages s' effilochent dans le ciel devenu subitement sombre.
Soudain Alain regarde sa montre en se levant rapidement :« Déjà 15 h00 ! » Nous avions pris nos aises, inconscients du long chemin qui nous séparait des voitures.
Nous rangeons rapidement nos sacs et en route pour amorcer le retour. Plus de raides montées, nous devrions donc avancer d'un bon pas. Notre rythme soutenu empêche toute discussion mais quelques plaisanteries fusent par moment, mettant du piment à notre gaie randonnée. Deux heures après notre départ, Julien s’inquiète du chemin, nous aurions dû traverser une petite rivière... On se penche sur la carte qui, malheureusement, n'indique pas cette partie géographique.
Que faire ? Demi-tour ? Continuer et bifurquer à droite pour retrouver le chemin ? Plein d'interrogations?... Nous décidons de nous diriger vers le sud et retrouver le bon itinéraire en accélérant notre marche pour compenser notre longue pause.
Josette suit péniblement le groupe en boitant. Au bout d'un moment, n'en pouvant plus, elle se déchausse. L'enflure de trois orteils devenus bleus lui cause une terrible douleur l'empêchant d'avancer. Nous la délestons de son sac pour l'alléger mais la difficulté s'accentue. Comment continuer, d'autant plus que la nuit tend son voile gris ? Olivier , rapide comme un chevreuil, part seul à la découverte d'un lieu sous les arbres pour y passer la nuit. Et miracle ! une cabane apparaît. Il vient vite nous prévenir et, en aidant Josette, nous arrivons sur les lieux.
La cabane est fermée. Impossible de l'ouvrir ! A force d'insister, de secouer la porte mal jointée, la serrure cède enfin ! A notre grande joie, un poêle à bois, une table et un banc trônent dans cette pièce sombre ornée de guirlandes de toile d'araignée. A l'étage des châlits avec quelques minces plaques de mousse en guise de matelas.
Nous sommes gâtés ! Hôtel trois étoiles ! Nous absorbons les derniers mets frugaux de notre repas de midi à la lueur du bois crépitant dans le poêle.
Pour égayer cette soirée, Olivier sort son harmonica. Les voix, certes avec des fausses notes, se mélangent à la musique. Notre répertoire est restreint et Germaine, facteur de flûtes en Suisse, est un peu agacée par notre mélodie discordante en regrettant de ne pas avoir apporté sa flûte...
Mais nous sommes cependant soucieux par rapport à nos familles.
Jean dit tout haut : « Elles ont l'habitude de nos escapades : pas de nouvelles, bonnes nouvelles !...» Nous allons donc nous coucher, apaisés par ce proverbe .
La nuit parut interminable, chacun tournant et retournant avec l'inconfort du matelas, le froissement bruyant des couvertures de survie et les ronronnements arythmiques des ronfleurs.
Levés très tôt le matin, un magnifique panorama inondé par les premiers rayons de soleil s'offre à nous.
Alain, toujours soucieux de l'itinéraire et voyant le soleil sortir de la colline est rassuré, nous sommes dans la bonne direction pour rejoindre les voitures.
Évidemment, pas de toilette matinale, pas de petit déjeuner, nous voilà repartis avec seulement quelques biscuits dans l'estomac et un peu d'eau restée dans nos gourdes. Pour remercier et nous excuser de notre intrusion sauvage auprès du propriétaire de la cabane, nous laissons un mot sur la table, expliquant notre mésaventure, mentionnant une adresse pour le paiement de la serrure et fermons délicatement la porte avec un cordon.
Pendant la nuit, les orteils de Josette ont un peu désenflé, pas facile d'enfiler sa chaussure mais, persévérante, aidée par Mireille, elle parvient à se chausser et elle peut repartir sans trop de difficulté
Après quelques kilomètres, nous retrouvons le chemin conduisant aux voitures. Une grande distance reste encore à parcourir... Josette n'en pouvant plus quitte ses chaussures de marche qu'elle remplace par une paire de sandalettes en toile trouvée au fond du sac de Mireille, au risque de se faire une entorse. Heureusement le terrain n' est pas trop pentu.
Vers onze heures nous retrouvons enfin nos voitures et partons vite vers le prochain village à la recherche d'une cabine téléphonique pour prévenir nos familles.
La veille, elles avaient communiqué entre elles. Comme nous n'étions pas des randonneurs solitaires, elles n' étaient pas trop inquiètes.
Une randonnée de plus gravée dans nos mémoires ! Que nous relaterons un soir à la veillée ou lors d'une autre randonnée.
Ginette CHEYNEL