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Publié par Université Populaire du Vivarais

Lorsqu’en 1979,  je lisais, avec grand intérêt, le livre que venait de publier l’économiste Jean Fourastié, « Les Trente Glorieuses » je ne pensais pas que ce titre –plus encore que le contenu de l’ouvrage – serait appelé à une telle renommée. Peu de gens se le rappellent, mais à cette époque, Fourastié avait choisi ce titre en référence aux « Trois Glorieuses » expression que « tout le public cultivé » comme on dit parfois, connaissait. Par cette expression on désignait les trois jours de juillet 1830 qui avaient mis fin à la Restauration et installé la monarchie de Louis-Philippe dite « de juillet » laquelle avait rétabli le drapeau tricolore et soi-disant les principales conquêtes de 1789 !

Aujourd’hui, le titre de Fourastié est devenu plus célèbre que l’épisode de 1830. 

« Trente Glorieuses » ? 1945 / 1976.

Fourastié, avait seulement montré que pendant ces trente ans, la France  avait connu une croissance économique régulière et qu’en conséquence, la vie quotidienne des Français s’était profondément transformée. Le pays s’était doté de nombreux équipements collectifs et les ménages français avaient eu accès à une prospérité qui s’était peu à peu substituée aux pénuries des époques précédentes. Bref, les Français comme leurs voisins d’Europe occidentale étaient entrés en 1975 pleinement dans la « société d’abondance » appelée parfois « société  de consommation ».

Sa démonstration était claire et convaincante.

Cela dit, Fourastié n’a jamais proclamé que cette période était un temps de  tranquillité sociale, d’une société sereine, d’une société qui n’aurait pas connu angoisses, insatisfactions, inquiétudes diverses.

     Les « Trente Glorieuses », servent aujourd’hui, parfois, à alimenter la nostalgie      d’une époque « bénie », à l’opposé de celle d’aujourd’hui qui serait celle du « no future », de la fin annoncée du progrès, parfois même de la dégradation inéluctable des conditions d’existence sur la « planète », la « biosphère » plus exactement, soit la mince couche superficielle de la planète, grâce à laquelle nous vivons, l’hydrosphère, (mers et océans)  la lithosphère (ce que nous appelons  le continent)  et l’atmosphère.

A cela s’ajoutent des doutes sur nos systèmes politiques  de démocratie représentative et la désaffection des citoyens, leur lassitude, parfois leur colère, face aux institutions publiques et ceux qui les dirigent. 

Rappeler maintenant ce qu’ont été, pour nous  citoyens français, ces  trente années de 1945 à 1976.

Il y a eu, les progrès rapides,  indéniables, que Fourastié a bien montrés ! O.K.

Mais il y a eu également de très nombreuses situations ou événements angoissants, difficiles à accepter et des crises historiques douloureuses.

Non ! Nous, femmes et hommes de ces années-là n’avons pas vécu des années de paix, sérénité et enrichissement faciles comme on l’imagine trop souvent.

Voyons un peu.

Elève en secondaire, dans un collège privé, j’avais des journées qui se terminaient à 19 h après deux heures d’étude obligatoire où on devait rendre un devoir, version latine, rédaction française, problèmes de maths ou autre. On avait classe le samedi jusqu’à 18 h ! Et on rentrait tous les jours, sauf le jeudi, à 7 h 55 le matin y compris le samedi.

Au fil des années, le régime scolaire s’est adouci et une fois en première ou terminale, on n’avait plus classe le samedi après-midi que… jusqu’à 16 h : on s’acheminait ainsi peu à peu vers des rythmes moins sévères.

Les adultes autour de nous et que nous sommes devenus, connaissaient eux aussi de longues journées et semaines de travail.

Les salariés travaillaient beaucoup plus longtemps, les vacances et congés étaient bien plus réduits. 44 h par semaine en moyenne pour les salariés ouvriers et employés. Deux semaines seulement de congé payé. Ce n’est qu’en 1956 que les salariés obtiennent une troisième semaine et en 1969 une quatrième !

A cette époque le congé de maternité n’était que de 14 semaines et c’est en 1980, bien après les « Trente Glorieuses » qu’il est passé à 16 semaines.

Quant au congé de paternité il n’existait pas. Un papa avait droit à 3 jours d’absence pour la naissance d’un enfant. Il a fallu attendre…2002 pour que les pères aient droit à 11 jours de congé paternité. Enfin il existe aujourd’hui, et tout cela n’a été décidé que peu à peu, un grand nombre de situations ou événements qui ouvrent des droits à congé : par exemple, son mariage, le mariage d’un enfant, l’hospitalisation d’un enfant qui vient de naître, le décès d’un enfant ou d’un proche parent, la maladie d’un enfant de moins de seize ans…le congé-formation. Tout cela n’existait pas ainsi, donc les salariés étaient bien plus rivés au travail qu’aujourd’hui !

Exemple. En 1968 je décide de préparer un concours pour être enseignant titulaire. Jusque-là j’étais maître auxiliaire en établissement privé sous contrat, autant dire le « prolo » de l’enseignement, le moins bien payé, sans perspective de promotion. Pour assurer une vie correcte à ma famille de trois enfants, puisque ma femme n’a pas d’occupation professionnelle, je dois accepter des heures supplémentaires ! 

Pour préparer ce concours, je n’ai bénéficié d’aucun congé, d’aucun allègement d’horaires. Et je n’ai eu le droit de m’absenter de mes cours que les jours des épreuves écrites du concours ! Préparer un concours d’agrégation en assurant 22 heures ou 23 heures de cours hebdomadaires était une gageure mais aucune autre solution ne se présentait !

Aujourd’hui, les enseignants qui veulent préparer un concours bénéficient très souvent de congé et peuvent parfois travailler leurs épreuves sans avoir à donner leurs cours ! Tant mieux pour eux ! Et on a créé pour eux un concours spécial, le concours interne différent du concours des autres, le concours externe.

Loin de moi l’idée de me plaindre ! Je dis cela seulement pour rappeler que la société des « Trente Glorieuses » était une société où avant tout, et quoi qu’il arrive, il fallait « bosser », « bosser », « bosser » ! Les loisirs, les congés pour ci ou pour ça, c’est venu beaucoup plus tard !

La retraite, c’était à 65 ans en général sauf pour certaines professions privilégiées et …qui le demeurent ! C’est d’ailleurs essentiellement pour sauvegarder leurs privilèges que ces professions ont déclenché la lutte contre la  réforme des retraites proposée en 2018/ 2019 !

Bref, c’est depuis les années 80 seulement que nous sommes entrés dans ce qu’un sociologue a appelé la « société des loisirs » mais entre 1945 et 1975 nous étions encore largement dans la société du travail plus que des loisirs !

Pendant les « Trente Glorieuses » n’ont pas manqué les crises graves et les raisons d’être inquiet et même angoissé. Il y a eu de longues grèves marquées par des violences, des affrontements. Par exemple,  La grève des mineurs en 1963 a duré 35 jours, mobilisant quelque 200 000 mineurs1 et employés, techniciens et agents de maîtriseEt il suffit de penser à la guerre d’Indochine qui dura de 1947 à 1954 et surtout à la guerre d’Algérie et son cortège d’horreurs, de drames, de menaces sur la paix civile en France. Ce sont des centaines de milliers de jeunes de vingt ans qui à cette époque y ont été mobilisés et en sont revenus marqués pour la vie ! Pensez à ces dizaines de milliers de « pieds-noirs » arrachés, de fait à cette terre d’Algérie qui, malgré tout,était la terre de leur naissance de leur enfance, leur terre !

Aujourd’hui la guerre, horrible, revenue en Europe ne nous atteint pas directement, ne concerne pas nos jeunes mobilisables ; seuls Ukrainiens et Russes y meurent. Depuis 1962, plus de cinquante ans, nous Français vivons dans  la paix tandis que, pour les citoyens français, la guerre a rythmé les dites « trente glorieuses ».

Pas de nostalgie ! Non, avant ce n’était pas « le bon vieux temps » 

Henri DRAVET ,  Le 22 juin 2022

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