Avis de lecture : L'enragé de Sorj Chalandon
L'Enragé de Sorj Chalandon
Éditions Grasset ou Audiolib (en livre audio)
Bandit !
Voyou !
Voleur !
Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens Qui fait la chasse à l'enfant.
Le poème de Prévert mis en musique par Joseph Kosma est bien connu et Sorj Chalandon ne manque pas de le citer dans son dernier roman "L'Enragé". Et pour cause : le poète et le romancier évoquent tous deux la tragique situation des enfants de "La colonie pénitentiaire de Belle-Île en mer".
Dès la fin du XIX° siècle, cette "colonie pénitentiaire" a vocation à recevoir des jeunes mineurs de 12 à 21 ans, orphelins ou jeunes ayant commis de menus délits (vol de fruits dans un verger par exemple). Enfermés derrière les hauts murs d'un pénitencier situé sur une île, ils sont soumis à l'arbitraire le plus cruel des gardiens, exploités dans des exploitations agricoles ou dans une structure maritime, sous prétexte de leur apprendre un métier.
Sorj Chalandon restitue avec la force d'écriture qui est la sienne, la vie abominable de ces enfants sans défense, maltraités, punis du cachot au moindre manquement, battus, humiliés par des gardiens d'autant plus sadiques qu'ils savent que, protégés qu'ils sont par les hauts murs de ce bagne, personne ne viendra leur demander de comptes quant aux traitements inhumains qu'ils infligent à ces gamins. Pauvres gamins qui n'ont d'autre tort que d'avoir été rejetés, dès l'aube de leur vie, par une société bien-pensante et méfiante à l'égard de tous ceux qui n'ont pas eu la chance de naître dans une famille "comme il faut" ou d'être sortis si peu que ce soit de la rigide norme sociale de l'époque. Sur plusieurs chapitres Sorj Chalandon nous fait partager le quotidien de ces malheureux. La force de ses descriptions prend à la gorge et, comme souvent chez lui, on est plongés dans la réalité de ces vies détruites avant même d'avoir pu éclore.
Mais, en août 1934, une révolte éclate, après qu'un gardien a cassé à coup de clés les dents d'un enfant sous prétexte qu'il avait osé croquer son fromage avant de manger sa soupe. Suite à cette émeute, 56 enfants s'évadent dans la nuit. S'en suit la fameuse "Chasse à l'enfant" dont parle Prévert. Ils sont alors pourchassés par les gardiens, les gendarmes, des habitants et même des touristes qui voient là une occasion de "pimenter" un peu leurs vacances dans l'île. Une prime de 20 francs est offerte par les autorités pour chaque enfant "capturé". Tous sont repris, prisonniers de l'océan qui les entoure plus que des murs de leur prison.
Tous ? Non, un seul, Jules, réussit à s'échapper, et c'est son histoire que Sorj Chalandon nous raconte. Histoire imaginaire car dans la réalité, nul ne sait ce qu'est vraiment devenu ce malheureux enfant, l'hypothèse la plus vraisemblable étant qu'il s'est noyé en tentant de rejoindre le continent.
La suite du roman nous narre comment le petit Jules est recueilli et aidé par un pêcheur et sa femme, comment il rencontre enfin de la bonté et de l'humanité qui lui permettront de se libérer de sa colère et de sa rage aussi dévastatrice l'une que l'autre.
Un grand roman, dont on ne sort pas indemne, difficile à lâcher de la première à la dernière page.
N.B. Ce roman existe aussi en livre audio aux éditions Audiolib. Idéal pour les longs trajets en voiture.
C.D. Lévy-Soussan
Vous pouvez suivre ce lien : Les Frères Jacques chantent "la chasse à 'enfant"