Mon Algérie à moi
Souvenirs, souvenirs…
(Comme le chantait quelqu’un que j’aime beaucoup)
L’idée de certains de raconter des souvenirs d’enfance dans le cadre des activités épistolaires que nous « impose » le confinement (et notre impayable secrétaire !) me paraît excellente. En effet, c’est l’occasion de partager entre Upéviens des souvenirs qui nous rapprochent ou nous singularisent. Peut-être manque t-il aux activités de l’UPV des veillées où chacun pourrait évoquer quelque anecdote de son parcours de vie ?
A mon tour, je vais vous raconter une histoire qui fait partie de mon vécu.
Comme vous êtes nombreux à le savoir, je suis né en Algérie. Très exactement à Oran qui était alors la quatrième ville de France (et oui ! département 92 de notre chère République). Je suis né dans la vieille ville, les tout premiers quartiers construits par les Espagnols au XVIIe siècle.
Oran (rue Charras)
Bien que les Français aient remplacé les Espagnols au siècle suivant, la très forte immigration des Ibériques attirés par un pays en totale construction, a maintenu non seulement le quartier mais aussi l’ensemble de la ville et du département dans la culture hispanique. Ainsi, la langue la plus pratiquée dans la rue était de loin l’espagnol que même les Arabes parlaient.
La guerre d’Algérie n’a réellement touché Oran que très tardivement. Pendant les cinq premières années, l’essentiel des opérations se sont déroulées dans l’est du pays, à Alger et ses environs. Mais quand les troubles sont parvenus jusqu’en Oranie, les choses sont allées très vite.
Ainsi, dans leur souci de déstabilisation de la société française, les Arabes se sont mis à harceler puis investir les vieux quartiers de la ville. Le quartier a perdu rapidement sa population européenne, vite remplacée par les Maghrébins venant s’approprier les appartements laissés vacants. Nous avons été, je le crois, les derniers Européens à quitter un quartier qui devenait plus dangereux de jour en jour.
Mes parents trouvèrent un appartement en plein centre ville dans une grande tour d’une trentaine d’étages qui surplombait la gare ferroviaire. Nous logions au dixième étage dans un appartement bien plus grand et avec tout le confort moderne que nous n’avions pas dans notre vieille maison.
Oran place de la Perle
La dernière année avant l’Indépendance fut sans doute terrifiante, mais dans mes yeux d’enfant, c’était plutôt le spectacle permanent.
Les attentats succédaient aux attentats, on voyait des jeunes gens qui se promenaient dans les rues le pistolet à la ceinture, on faisait des manifestations bruyantes baptisées « concert de casseroles » où, même nous les enfants, étions autorisés à accompagner nos parents sur le balcon pour taper avec une louche sur une gamelle. Cinq coups synchronisés symbolisant al-gé-rie-fran-çaise qui résonnaient dans toute la ville et qui me ravissaient de joie de pouvoir participer à un tel tohu-bohu.
Mais la situation empirait de jour en jour et, comme de plus en plus d’attentats étaient commis par des Européens en représailles de ceux organisés par les Arabes, on en vint à ce que les forces de maintien de l’ordre interviennent régulièrement contre la population française.
Or, les gendarmes mobiles, chargés de ce maintien de l’ordre, avaient précisément choisi la gare comme quartier général.
Dans l’atmosphère de western qui s’était peu à peu mis en place sur la ville, il n’en fallait pas plus pour que certains décident de se « venger » de cette traîtrise et chaque soir, ou presque, des hommes montaient sur le toit de l’immeuble et tiraient sur les gardes mobiles qui ne manquaient pas de riposter.
C’est ainsi qu’à de nombreuses reprises, alors que nous étions à table, la pétarade commençait. Mon père donnait alors l’ordre de prendre son assiette et de se coucher sur le sol pour poursuivre le repas. Tout le monde ventre à terre !
Quel n’était pas mon plaisir de contempler, ainsi allongé, les balles passant devant notre fenêtre. J’avais rapidement appris qu’il y avait une balle traçante toutes les cinq balles et le décompte se faisait naturellement : cinq, dix, quinze, vingt,…
De temps en temps on entendait un gros boum et on sentait l’immeuble trembler, c’était un obus de 12,7 qui avait frappé la façade de l’immeuble, mais je continuais, avec mes sœurs, à compter : quatre-vingt cinq, quatre-vingt dix,…
Souvent le lendemain, nous allions voir chez nos voisins les dégâts que les obus avaient occasionnés. Tout le monde était effondré, moi j’étais subjugué ! Je n’ai pas de mots pour vous décrire la physionomie de la machine à laver le linge qui s’était pris un obus en plein hublot ! Même dans les bandes dessinées les plus délurées, on n’en a jamais vu de pareilles !
Heureusement, notre appartement ne fut jamais touché de la sorte, mais je ne pourrai jamais oublier l’allure de la façade donnant sur la gare qui tenait plus du gruyère que du miroir.
Avec le temps, j’ai appris et compris que tout cela n’était pas qu’un jeu et que les risques étaient alors énormes. Mais dans ma tête, puisque tout s’est finalement bien passé pour nous, toutes ces péripéties sonnent toujours comme de « bons » moments.
Jean-Marc MONTOYA