Conférence du mois de février 2025 par Pierre Joly, Université de Lyon
Et la femme créa l'homme...Une histoire naturelle de la sexualité
Pierre Joly Université de Lyon
Depuis son origine, la biologie est partagée entre les questions du "comment ça marche" (physiologie, médecine) et celle du "pourquoi ces processus" (évolution). Si les mécanismes de la sexualité ont été depuis longtemps bien analysés par la physiologie, la question de l'évolution de ces mécanismes n'a reçu qu'assez récemment une grande attention des chercheurs. La sexualité pose en effet de nombreux problèmes d'évolution. Elle ne sert essentiellement qu'à créer, à un rythme soutenu, de nouvelles combinaisons de gènes, alors que son coût est très élevé. Un coût majeur réside dans la production des mâles, qui ne fabriquent à proprement parler aucun descendant, l'élaboration des ovocytes étant le propre de la fonction femelle. L'apparition des mâles a été conditionnée par deux grandes contraintes fondamentales. La première est que deux cellules étrangères ne peuvent échanger de cytoplasme (elles ne peuvent pas fusionner), ce qui va conduire à l'apparition d'un sexe spécialisé dans la production de cellules sexuelles anorexiques (composées presque exclusivement de matériel génétique), les spermatozoïdes. La seconde est que la construction d'un organisme pluricellulaire ne peut se faire qu'à partir d'une seule cellule primordiale, ce qui garantit la commune identité de toutes les cellules de l'organisme et donc leur absolue collaboration au succès des cellules reproductrices. La production de cette cellule primordiale, l'œuf, étant le propre du sexe femelle.
Quelle est la pression de sélection qui peut faire apparaître un mécanisme aussi coûteux que la sexualité ? La théorie de l'évolution suppose un avantage immédiat pour les parents. L'hypothèse d'Hamilton-Zug (1982) suppose que la production de nouvelles combinaisons génétiques est une réponse à l'évolution extrêmement rapide des agents pathogènes (bactéries, virus, parasites) dont le faible temps de génération entraine une forte fréquence de mutations. La sexualité permettrait aux organismes pluricellulaires de compenser ainsi leur longue durée de génération.
Si le succès reproducteur des femelles dépend de la capacité à produire des ovocytes, sachant que la survie des jeunes dépend de la taille des ovocytes, le succès reproducteur des mâles dépend de son côté du nombre de partenaires sexuels. Il s'ensuit un conflit d'intérêt entre les sexes. La ressource mâle étant abondante, on peut prédire que le sexe femelle va exercer une forte sélection sur le sexe mâle, ce qui se manifester par l'apparition de caractères sexuels extravagants (la parure du paon, les bois des cervidés, les mandibules hypertrophiées des mâles d'insectes, etc...).
Néanmoins, cette règle souffre de nombreuses exceptions. Mâles et femelles présentent les mêmes signaux sexuels chez de nombreuses espèces d'oiseaux (grèbes, cygnes, corvidés, etc...). Quelquefois, les rôles sont inversés, les femelles montrant des caractères de séduction (phalaropes). En fait, les mâles peuvent à leur tour peser sur le conflit d'intérêt en investissant de l'énergie dans le processus de reproduction, en nourrissant la femelle ou les jeunes, en assurant la défense d'un territoire, en protégeant la famille contre les prédateurs, en construisant des abris (comme le terrier du grillon). La règle de la sélection sexuelle sera en définitive que chaque sexe exerce une sélection proportionnelle à son investissement dans la reproduction, jusqu'à la possibilité d'une inversion totale des rôles lorsque le mâle assure seul les soins aux jeunes (phalaropes, poissons). On peut supposer qu'un égal investissement des deux sexes dans la reproduction aboutisse à la monogamie et à la constitution de couples plus ou moins stables (marmotte, cygne...).
Chez certaines espèces, la sélection repose sur la perception directe d'une complémentarité immunitaire, la nature immunitaire propre à chaque individu étant traduite par des odeurs corporelles particulières (phéromones). La perception de ces phéromones joue un rôle important dans la formation des couples chez les humains.
La stabilité d'un couple monogame repose aussi sur un attachement social, souvent couplé à la sécrétion d'ocytocine, véritable "hormone de l'attachement". On retrouve en effet de fortes concentrations de cette hormone dans le cerveau d'espèces monogames. Diverses évidences convergent pour faire de l'humain une espèce fortement marquée par la monogamie, le couple et la famille étant la base de l'organisation sociale de la plupart des populations humaines.
Pierre Joly